Voyage à ma zone


Temps de lecture estimé: 4 minutes

Bienvenue au 21è siècle

J’ai une tendance certaine à principalement ligoter des bouquins du siècle dernier et a fortiori des livres – mêmes plus récents – dont l’auteur était déjà publié au siècle dernier. Pourtant, j’entends régulièrement chanter les louanges de la nouvelle génération d’auteurs de romans noirs francophones et j’ai bien conscience de passer à côté de belles découvertes, du coup j’essaye de me mettre un peu plus à la page. Parmi ces auteurs de roman noir français qui font parler d’eux et ont attiré mon attention, Colin Niel figurait évidemment en bonne place.

Colin Niel est un peu la nouvelle coqueluche du roman noir francophone. Sa collection de prix en seulement quatre romans est éloquente: deux prix des Ancres noires (2014 et 2017), récompensé deux années de suite à Quai du Polar (2016 et 2017), Prix Sang pour sang polar 2014, primé lors de Noir sur la Ville 2016 à Lamballe (où j’ai eu l’occasion de l’entendre un peu causer) … Il avoisine les quinze prix spécialisés dans le Noir.

Histoire de ne rien faire comme il faut, je me suis lancé avec Ce qui reste en forêt qui est le deuxième volume d’une trilogie, mais que celles et ceux qui tombent sur l’ouvrage sans avoir lu le précédent se rassurent, ça ne m’a nullement handicapé dans la lecture.

Colin Niel, Ce qui reste en forêt
Colin Niel, Ce qui reste en forêt, 2013, éditions du Rouergue, collection Rouergue noir.

Résumé

L’histoire commence par la découverte d’un cadavre, original n’est-ce pas? On sort déjà un peu des sentiers battus si on précise que ce cadavre est celui d’un scientifique, découvert au cœur de la forêt amazonienne, en Guyane française. L’enquête nous amènera par la suite sur différents terrains peu foulés par le roman noir, s’intéressant simultanément au milieu des orpailleurs clandestins, à un autre cadavre mais d’albatros celui-ci, retrouvé échoué à un endroit où ce volatile ne devrait pas se trouver…

En parallèle de cette enquête officielle, le capitaine de police Anato nous entraîne dans une quête plus intime pour démêler ses secrets de familles, ce qui nous plonge dans la culture Ndjuka (descendants d’esclaves marrons installés le long du fleuve Maroni).

Parole de connaisseur

Si ce roman peut avoir des accents d’exotisme pour le métropolitain qui ne connaît rien de la Guyane, de sa nature et de ses cultures multiples, il n’en est rien pour l’auteur qui travaille en terrain connu. Non seulement Colin Niel connaît la Guyane mais en particulier la forêt amazonienne sa faune et sa flore puisqu’il y a lui-même travaillé à la création du parc amazonien de Guyane. De même, quand il traite de la culture Ndjuka, bien qu’il n’en soit pas un, il sait de quoi il cause, l’ayant connue directement auprès de Ndjuka auprès de qui il a même appris la langue1. De toute façon, même quand Colin Niel ne connaît pas un sujet d’expérience propre, il le maîtrise quand même, vu qu’a contrario de la tendance lourde dans la génération précédente du néo-polar français, il n’est pas avare de recherche et de documentation.

Après, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas parce qu’on connaît ce dont on parle que ce qu’on en dit est intéressant. J’ai d’ailleurs eu un peu peur en début de lecture de l’excès de connaissances étalées en surdose, travers récurrents par exemple dans les romans policiers modernes aux états-unis. Je me suis notamment initialement inquiété des nombreux renvois dans les premières pages vers un glossaire en fin d’ouvrage. Le genre de trucs qui peuvent gâcher la fluidité de la lecture et donc le plaisir. Fausse alerte cependant, car en réalité ces renvois se font vite rares et ne sont donc pas contraignants.

Colin Niel ne met pas sa connaissance des sujets au service d’une leçon un peu lourdingue mais d’un réalisme qui fait mouche (et pas mouche tsé-tsé comme ceux qui t’endorment à force d’informations inutiles). Quand ses personnages évoluent dans la forêt, tu y es avec eux même si tu ne la connais pas. Les orpailleurs, les Ndjuka ou les flics métros déracinés ne paraissent pas étranges ou exotiques, on les comprend et on comprend leurs mobiles.

Un bon roman complet

Ce que j’ai le plus apprécié à la lecture de Ce qui reste en forêt, c’est que ce livre, en plus d’être très bien écrit, présente des intérêts variés. Les fans de romans policiers à énigme seront servis car celle-ci est bien amenée. Si le dénouement ne nous laisse pas absolument abasourdi, le suspense se maintient du début à la fin de l’intrigue, avec le lot habituel de fausses pistes.

Les amateurs de roman noir, qui aiment voir l’intrigue servir de prétexte pour dépeindre la société et les comportements humains qu’elle produit seront également satisfaits. L’air de rien, sans s’y appesantir, le bouquin dépeint des populations très différentes avec leurs problématiques propres, mais aussi leurs thématiques communes comme par exemple l’identité et le déracinement qu’on retrouve traités au travers des orpailleurs immigrés clandestins du Brésil, mais aussi du flic métropolitain qui a du mal à s’adapter à la Guyane ou du Ndjuka qui a grandi en métropole très éloigné de sa culture d’origine… Les liens entre manière d’agir et conditions de vie, environnement social et éducatif sont également très bien traités dans la tradition comportementaliste du roman noir, tordant le cou à certains clichés sur le goût de la violence attribué à certaines populations.

Enfin, celles et ceux qui cherchent le dépaysement pourront aussi s’y retrouver avec une belle plongée dans la jungle amazonienne (et, même si c’est moins présent, dans les méandres de Cayenne) et une approche intéressante de la variété culturelle en Guyane…

Personnellement, j’ai été un peu déçu par la toute fin. Le dénouement de la quête intime du capitaine Anato, à la recherche de son frère mais surtout de ses racine m’a paru un peu plat et de faible intérêt, mais il n’y a pas là de quoi gâcher l’impression d’ensemble. Non seulement cette fin n’a rien de rédhibitoire, mais surtout je préfère un livre dont la chute est un peu en deçà mais dont tout le reste est plaisant que ceux qui misent tout sur le final renversant mais qui t’emmerdent avant avec 300 pages médiocres.


1Colin Niel nous livre personnellement cette précision comme plusieurs autres dans sa longue interview à lire dans le numéro 129 de la revue 813.

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