Confinement: des initiatives con et des plus fines


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Coup de gueule avant les sucreries

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voulais pousser un petit coup de gueule. Si, si. Moi ça me fait du bien, et ça ne fait de mal à personne sauf celles et ceux qui le méritent. Et puis les coups dans la gueule, c’est pas très geste barrière friendly, alors on se contente de coups de gueule.

Non pas un coup de gueule contre les gens qui sont en train de compenser leur frustration de cons finis confinés par une frénésie d’achat sur Amazon qui – oh surprise ! – ne révèle pas dans la période un visage plus reluisant que d’habitude en faisant travailler ses employés sans masques ni gants ni possibilité d’être à plus d’un mètre les uns des autres, en employant massivement des intérimaires en plein confinement, refusant de payer comme la loi les y oblige les très nombreux employés usant de leur droit de retrait … tout ça pour livrer 90% de produits non essentiels (sur ce qui se passe actuellement chez Amazon, voir par exemple ce témoignage, cet article, ou celui-ci). Non, ceux-là je les ai confortablement classés dans les irrécupérables tout juste bons à nourrir mon compost.

Je voulais plutôt gueuler contre les progressistes en herbe qui croient faire du social en bramant partout que pendant le confinement il n’y a pas que le susdit Amazon pour étancher les soifs de lecture et qu’il faut commander des livres en livraison directement auprès des libraires indépendants ou des petites maisons d’édition. Évidemment ce coup de gueule vaut aussi pour ces mêmes libraires et éditeurs, parfois même militants « anticapitalistes » qui appellent à les sauver en faisant appel à leur service de livraison. Qui appellent donc à les sauver au détriment de la santé et de la vie d’autres travailleurs et de leurs proches, allant même jusqu’à allécher le chaland avec des , réductions, frais de ports offerts et autres offres spéciales du type « solde sur la mise en danger des petites mains du capital, faites un geste ».

Parce qu’imaginez-vous que les bouquins ils ne se déplacent pas seulabres jusque sous vos yeux. Ils passent par des prolos qui n’ont pas le droit au confinement dont on nous vante les mérites. Comme à La Poste, où on préfère mentir sur la réalité de la pandémie que de protéger les salariés, et quand ceux-ci osent protester, ils se prennent les flics dans la gueule (notons que La poste n’est pas ingrate avec les flics et sait se montrer reconnaissante de leur contribution musclée à la paix sociale puisque le groupe vient de fournir 300.000 masques au ministère de l’intérieur, ces mêmes masques que La Poste refuse à ses employés et qu’ils n’auraient évidemment pas pu donner aux soignants qui en manquent cruellement). Parce que si en France, contrairement au Portugal, le droit de grève n’a pas été légalement aboli en période d’urgence sanitaire, dans les faits il a pris un sacré coup dans l’aile, c’est la guerre, a répété Macron, il faut faire nation, a-t-il aussi dit. Quand un capitaliste parle de guerre et d’unité nationale, ça a  toujours signifié « crevez pour nous et nos profits et en fermant bien vos gueules encore ».

Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau!

Final de la chanson de Craonne

Et puis il n’y a pas que les postiers; vos bouquins chéris, pour aller de vos petits patrons littéraires d’amour à vos mains manucurées, ils passent par des plateformes logistiques, des routiers, des trains (pour info, au 25 mars, le taux de COVID19 chez les cheminots était 8 fois plus élevés que dans l’ensemble de la population française)… Bref, si vous voulez vous donner une bonne conscience sociale, vous commencez par revendiquer l’arrêt immédiat de toutes les activités professionnelles non indispensables (parce que oui, confinement ne signifie pas fermer sa gueule  et qu’on peut continuer à revendiquer pendant que la bourgeoisie casse le droit du travail et fait plus que jamais rimer turbin avec crever) et pour être un peu raccord vous ne faites pas bosser des gens au risque qu’ils chopent le coronavirus et le refilent à leur famille pour votre petit plaisir de fins lettrés. Vous ne crèverez pas de ne pas lire le livre du mois, mais d’autres crèveront de votre égoïsme enrobé d’élitisme culturel.

Photo @guiplex

Le pire, c’est que parfois, celles et ceux qui appellent à commander des livres sont les mêmes qui applaudissent les soignants à 20h et qui crachent le reste du temps leur mépris sur les « irresponsables » qui vont acheter du coca ou faire des courses jugées comme n’étant pas de première nécessité ou faisant un peu d’exercice de plein air. Sûrement des activités beaucoup moins nobles que la lecture. Il est vrai en tous cas que c’est très noblion comme attitude de préférer faire venir à soi ses petits caprices en sacrifiant les autres tout en se claquemurant et en étalant partout sa grande responsabilité de strict respect du confinement. Je vous souhaite de vous faire livrer un bouquin porteur du virus et encore, pour être sûr de ne pas vous louper, je vous conseille en prenant votre air supérieur de bien lécher votre doigt pour tourner chaque page!

Les bons plans

Je ne dis pas qu’il ne faut pas lire, si vous aimez tant ça, vous avez forcément des bouquins que vous n’avez pas lus depuis longtemps et que vous redécouvrirez avec plaisir voir que vous n’avez pas lus tout court. Et puis, si vous lisez ces lignes acerbes, c’est que vous avez internet, et sur internet il y a plein de bouquins à lire, sans vous les faire livrer. Alors oui, je sais ce que vous allez rétorquer d’un ton geignard. Moi non plus, je n’aime pas lire sur écran. Mais à chacun ses priorités, les vies humaines ou le confort de lecture. Il y a plein de lecture gratuite sur internet, et il y en a même encore plus que d’habitude en ce moment, vu que chacun y va de sa petite offre.

Ah, z’avez vu comme je gère la psychologie humaine? Bon certes avec mes premiers paragraphes, j’ai fâché et perdu la moitié des lecteurs, mais ceux là, on les aimait pas de toute façon, bon débarras. Les autres par contre, qui ont subi vaillamment mon fiel acide, se sont peut-être même un peu senti visés parfois ou sinon craignaient de finir par l’être, d’un coup lisent cette annonce mielleuse de pleins de livres à lire gratuitement (l’équivalent sapiosexuel des houris) et par contrecoup s’en trouvent tout flagada de cette main amie soudainement tendue au milieu de l’adversité (« une main tendue, une main ouverte, des yeux attentifs, une vie : la vie à se partager » poétisait Paul Eluard). Si j’étais flicard vicelard, c’est là que j’en profiterais pour asséner le coup de grâce.

Il est des coups de grâce qui ne manquent pas de grâce, bien qu’elles ne soient pas grasse, Kelly. Image du film de Hitchcock La main au collet, en partie tourné du côté de Grasse.

Heureusement, vicelard je ne sais pas, mais flicard je ne le suis pas, bien au contraire. Du coup, il n’y a pas de coup tordu en préparation, je vais réellement vous indiquer quelques bons plans que de bons samaritains (comment ça en mal de pub?!) ont mis à votre disposition pendant le confinement. Bon je ne vais pas tous vous les citer, parce qu’entre les maisons d’éditions, les associations, les blogs… c’est une vraie pandémie d’offres de lecture en ligne, mais je vais vous en indiquer quelques uns qui ont retenu mon attention.

Du Tripode à Marcus Malte

L’association 813, encore elle, propose ainsi d’aller lire à l’œil (lire à l’œil, c’est plus facile qu’à l’oreille, bien qu’il m’arrive de lire au pif) La grande panne, fable oh combien d’actualité de Hadrien Klent mise à disposition par les éditions Le Tripode ou des nouvelles du monde entier des éditions Zulma dont une du grand Marcus Malte. Les liens sont .

Polar sur Garonne

L’association Polar sur Garonne, notamment connue comme organisatrice du festival Lisle Noir (aka « les vendanges du polar », avouez que c’est vendeur), a mis en place pendant le confinement Les nouvelles du lendemain. Chaque jour, un auteur de polar connu livre gratuitement sur leur site une nouvelle inédite. On y trouve déjà les œuvres de Ian Manook ou Nadine Monfils et plein d’autres bonnes surprises vont arriver.

Le monde d’après

Puisqu’on parlait de festival polar, l’association Colère du présent organise chaque 1er mai à Arras le salon du livre d’expression populaire et de critique sociale, un rendez-vous à ne pas manquer, mais que vous manquerez quand-même cette année! Ben oui, les conditions ne sont pas tout à fait réunies pour préparer l’événement. Le salon 2020 est donc annulé mais le rendez-vous est maintenu, annonce le site colère du présent.

 

Concrètement, ça signifie que pour l’instant vous trouverez petit à petit sur leur site internet des tas d’infos qui auraient du vous être présentées sur place, sur des livres, des groupes de musique, des associations… Mais ce n’est pas tout. Faute de salon, le 1er mai, il ne se passera pas rien du côté de colère du présent. Ils lanceront alors le site Le monde d’après. Sur le contenu précis du site, l’association joue un peu le suspense, mais les infos qui fuitent au compte-gouttes permettent d’attendre du très gros.

Caïman contre pangolin

Les éditions du Caïman, j’en ai déjà parlé à propos de mai 68. Et je serai amené à en parler de nouveau, ne serait-ce que pour leur habitude de sortir des recueils de nouvelles noires sur des thématiques engagées (comme sur les brigades internationales ou tout récemment sur l’anarchie), ce qui, avouons le, matche plutôt bien avec le thème de ce blog.

Hé bien, un blog, les éditions du Caïman viennent justement d’en lancer un, Caïman contre Pangolin. Mouais et alors, râlerez-vous, des blogs ça ne manque pas. Disons le tout net, dans cet océan d’initiatives spéciales confinement, les éditions sauriennes se démarquent nettement. On n’est pas juste sur de la mise en ligne de lecture mais dans du concept, un laboratoire d’écriture et de lecture, mais pas seulement. On y trouve d’agréables lectures par Sab, de superbes photos et surtout un roman-relais, dont chaque jour un auteur ou une autrice écrit un chapitre, moi qui aime les jeux littéraires je suis comblé. En parlant de jeu, il y a même un jeu concours avec à gagner des e-book (qui ne sont pas des caprins électroniques ni des grands-ducs avec une barbichette mais des livres numériques). Et ça marche, toujours dévoué, R2N2 a testé pour vous.

Et si vraiment tu n’aimes pas lire sur écran, il y a aussi pléthore de jeux vidéos gratos en ce moment, ça permet moins de se la péter dans les dîners mondains, mais comme ils sont de toute façon interdits, faut pas se gêner!

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