Lire deux, trois, plusieurs Thierry Pelletier


J’ai découvert Thierry Pelletier avec son premier bouquin La petite maison dans la zermi, je n’en suis pas absolument certain, mais il me semble que c’est après en avoir lu la chronique dans cheribibi. En tous cas, ce dont je suis sûr c’est que j’avais lu quelque chose sur le bouquin qui m’avait donné envie de le lire. Alors si ce que j’écris maintenant pouvait à son tour donner à quelqu’un l’envie de le lire, ce serait le fade.

La petite maison dans la zermi

C’est une série de nouvelles courtes tirées de l’expérience de l’auteur en tant que veilleur et éducateur dans des foyers de sdf et de toxicos. Thierry Pelletier dément dans la préface vouloir se « fatiguer à essayer de démonter les rouages d’un système qui broie des hommes et en sous-paye d’autres, pour maintenir les premiers dans une survie résignée » mais il fait mieux que ça puisqu’il illustre parfaitement ces rouages à renforts de petites anecdotes et réflexions bien senties. En parlant d’illustrer, il faut de suite préciser avant d’oublier que le bouquin l’est parfaitement, illustré. Il faut dire que l’armada d’illustrateur mobilisée est impressionnante, on y retrouve la fine fleur de l’illustration alterno avec des dessins de Chester, Faba, Thierry Guitard, Tôma Sickart, Nono le hool’s et plein d’autres aussi bons … qui donnent au bouquin un petit air de disque punk ou d’un bon vieux numéro de Barricata (avec en sus la tof de couverture qui est de Yann Levy).

La lecture des textes est déconseillée aux gens qui font du bruxisme, en tous cas elle m’a fait sérieusement serrer les mâchoires (et la gorge, voir le poing et le cœur, « le poing levé, le cœur serré » comme chante hors contrôle) à bien des moments, mais en même temps c’est vivant et touchant, à l’opposé justement des textes théoriques abstraits se donnant trop l’ambition de démonter des rouages quitte à déshumaniser leurs victimes ou à les fantasmer (« La misère fait fantasmer tous ceux qui ne la connaisse pas » écrit à juste titre Thierry Pelletier et il y aurait beaucoup à dire en ce sens au sujet des romans noirs qui ont souvent une sacrée inclination pour ce biais, même que si vous étiez sympas, je compterais sur vous pour me rappeler que j’avais commencé à gribouiller quelques lignes à ce sujet et que ce serait bien que j’aille au bout un jour). L’efficacité du court ouvrage réside aussi beaucoup dans son écriture à la fois imagée et précise, Thierry Pelletier a y compris la qualité rare de beaucoup argotiser mais sans folklore, là aussi il aurait des leçons à donner à certains auteurs de polar.

La petite maison dans la zermi

Titre: La petite maison dans la zermi suivi de Tox Academy 
Auteur: Thierry Pelletier 
Éditeur: Libertalia
Date de parution: 14/03/2007 (nouvelle édition augmentée en 2014)
ISBN: 9782952829243 

Les rois du rock

Quand j’ai voulu acheter La petite maison dans la zermi, je me suis un peu renseigné sur le bouquin et sur le gus à qui on le devait. Dans les années 80, Thierry Pelletier se faisait appeler Thierry Cochran, rapport au portrait du bel Eddie qui ornait son Teddy (celles et ceux qui me connaissent bien voient un lien important entre lui et moi) et était un pilier de la mouvance psychobilly tant sur scène que devant, autour… Je découvre alors qu’il vient (à l’époque) de sortir Les rois du rock qui revient sur cette période en une série de textes courts et personnels. Vous aurez deviné sans mal la fin, ce n’est pas un mais deux livres de Thierry Pelletier que j’ai donc acheté alors.

Les années 2000-2010 ont vu un certains nombre d’anciens combattants (et/ou de nouveaux mythos) tenter de faire revivre la légende d’un Paris des marges et des bandes, chanter la gloire de la mythique raya et si possible un peu la leur au passage. On aurait donc pu craindre que ce bouquin s’inscrive au moins partiellement dans la démarche mais on est loin du compte (pour ma part je le craignais fortement, et en même temps, parce qu’on n’est pas à un paradoxe près, je l’attendais un peu quand même parce que le folklore que ce soit celui des Teuz et Korrigans ou celui des fiftos et des keupons ça garde toujours une certaine force d’attraction pas très rationnelle).

Toujours la même écriture chouettos, toujours aussi le même assemblage de textes très courts qui, pris à part, paraissent généralement très anecdotiques mais qui mis bout à bout constituent une fresque cohérente par petites touches impressionnistes. Avant même le premier texte, on voit qu’on n’est pas uniquement dans le folklore ultra-convenu, la citation en exergue n’est pas de LSD (allez ne me lâchez pas, reconnaissez qu’on était tous persuadés que ce serait le cas, que je ne suis pas le seul) mais de Villon.

On retrouve dans les textes des récits de concerts mythiques et de bastons homériques. Ça oui, quand même. Des moments de joie, sans conteste, des moments de loose mais prêtant à sourire, des tas. Mais l’ensemble n’est pas fait pour faire regretter aux jeunots (comme mézigue) de n’avoir pas connu l’époque. La dèche n’y était pas moins dècheuse que maintenant, la connerie aussi largement partagée, la bibine et la drogue, c’étaient peut-être de bons moments mais surtout combien de vies gâchées (l’anecdote sur le keupon alcoolique qui s’est laissé mourir de faim me hante régulièrement), les bastons ne faisaient pas que des héros viriles mais aussi des trouillomètres à zéro et quelques cadavres, la mention RIP est une des plus utilisées à la suite des différents noms cités.

On retrouve dans le bouquin le récit de plusieurs concerts qu’on imagine dantesques mais le plus souvent l’auteur n’en a rien entendu ou retenu, y sont citées pas mal de sommités de la faune parisienne de l’époque mais aussi d’anonymes (la description du public varié et évolutif du Cyrano est un des textes qui m’a le plus marqué). On croise au fil des pages plusieurs des fameuses bandes parisiennes (des Del Vikings aux autonomes de L’usine en passant par les Ducky Boys) mais loin de la place centrale que certains ont voulu leur donner a posteriori (je n’ai pas retrouvé la phrase exacte mais T. Pelletier en parle quelque part sur une page disparue comme d’un phénomène exogène et plus perturbateur que constitutif de son quotidien).

Entre les scènes de bistrots et de concerts, on retrouve aussi les récits d’un quotidien plus trivial, les différents plans pour avoir de quoi bouffer; de la fauche à la manche en passant par les petits boulots plus conventionnels, les plans cobaye pour labos pharmaceutiques ou les deals foireux. Comme quoi la débrouille en système capitaliste, c’est intergénérationnel et transculturel, on a tous connus les mêmes plans, que ce soit dans les années 80, 90 ou 2000, qu’on soit skins ou hippies ou très loin de tout ça…

Un petit goût de légende donc mais surtout une grosse saveur de quotidien, des tranches de vie touchantes et vivantes (b* de d* je me rends compte que j’ai utilisé exactement les deux mêmes épithètes a propos du livre précédent, peut-être que c’est juste les principales caractéristiques de l’auteur, épithète aussi que c’est les deux seuls qualificatifs que connaît le chroniqueur, la grande honte) mais avant tout réalistes, racontées avec du recul et de la prise de distance mais sans aucun reniement pour autant. Heureusement car je crois que c’est la seule chose de pire que ceux qui glorifient leur passé. Côté graphique on retrouve les méfaits graphiques de Faba et Tôma Sickart qui avaient déjà sévi dans La petite maison dans la zermi mais aussi un paquet de photos d’archives personnelles qui a elles seules valent le coup et le coût du livre.

Les rois du rock

Titre: Les rois du rock
Auteur: Thierry Pelletier 
Éditeur: Libertalia
Date de parution: 01/05/2013
ISBN: 9782918059349 

Cas rudes

Les années passent. Je n’oublie pas les deux bouquins de Thierry Pelletier mais je n’y repense pas tous les jours en me rasant le crâne non plus. Fin 2021, je suis le parfait mimile qui en bon franchouillard moyen s’échine à acheter un ou deux cadeaux de noël pour des gens qui s’en foutent. Il y a justement quelqu’un à qui je voulais depuis un bail faire lire Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce de Corinne Morel Darleux. Évidemment, j’y pense à deux heures du matin et si j’attends d’avoir l’occasion de m’arrêter à une librairie aux heures ouvrables non seulement pâques seront passées mais surtout j’aurais oublié depuis longtemps. Bref, tu te demandes ce que je fous encore avec mes anecdotes à la noix et et mes digressions à n’en plus finir, mais il y a un lien avec le sujet du jour, promis. Le bouquin en question, dont je ne parlerai pas maintenant, juré, est édité chez Libertalia. Libertalia qui fait de la vente en ligne et qui peut donc me racketter à toute heure. En quelques clics me voilà sur leur site, le bouquin y est toujours disponible (ben tu parles, j’ai appris depuis qu’ils en étaient au dix-septième retirage) je le fous dans le panier virtuel et devrais itou aller faire coucouche. Sauf qu’évidemment je me retrouve à errer sur le site, la bave au menton et les pupilles dilatées. Les Cravan et les London notamment me font sévèrement de l’œil sans compter quelques non-fictions et… Finalement il y a tellement de bouquins qui me tentent que ça va me sauver car ne pouvant les acheter tous il est presque plus facile d’en acheter aucun. Sauf qu’au dernier moment (ou peut-être l’avant dernier), un nom retient mon attention. Bah oui, Pelletier bien sûr. Pas Léonard, ni Robert (dont j’ai aussi un bouquin) mais Thierry, of course. Ah oui, tiens j’avais bien aimé ses livres. Oh, mais c’en est un nouveau? Et bien oui, il a récidivé, irrécupérable le gars et moi de même qui ajoute fissa le livre au panier.

Cas rudes est tiré des années que l’auteur a passé à turbiner au sein du Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour les Usagers de Drogue (CAARUD, vous le tenez le jeu de mot, ça y est?). Contrairement à La petite maison dans la zermi, ce n’est cette fois pas Thierry Pelletier qui raconte ce qu’il a retenu de son taf mais il transcrit ce que lui ont confié sur dictaphone les usagers du CAARUD eux-mêmes. Une série d’auto-portraits donc, de pans de vie et de parcours dévoilés souvent avec un mélange de pudeur et de transparence. Sur la forme comme sur le contenu, je ne vais pas en dire trop, au risque d’être redondant, voir de laisser échapper un « touchant et vivant ». En tous cas j’ai trouvé ce dernier bouquin bien dans la même veine que les précédents et largement au même niveau. Paradoxalement presque moins sombre, même si ce qui y est raconté ce n’est pas la vie en rose, vous vous en doutez.

Cas rudes de Thierry Pelletier

Titre: Cas rudes
Auteur: Thierry Pelletier 
Éditeur: Libertalia
Date de parution: 07/11/2019
ISBN: 9782377291267 

C’est le moment d’en finir avec cet article, vous avez mieux à lire. Déjà trois livres de Pelletier, et par la suite, on peut espérer de nombreux autres, si lui les écrit. Petite précision pour la route : si vous préférez lire en format numérique, Les rois du rock et Cas rudes sont aussi en vente en EPub sur le site de Libertalia.

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