Le malheur prend son temps


Le malheur prend son temps est un recueil de 21 courtes nouvelles de Pascal Dessaint qui vient de paraître à La déviation, petite maison d’édition creusoise particulièrement attachée à la biodiversité.

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Couverture du livre Le malheur prend son temps.

Avant le livre

Avant de parler du recueil en lui-même, je voulais résumer rapidement comment j’en suis venu à le lire. Pascal Dessaint est un auteur que j’ai découvert il y a longtemps (via à l’époque Les pis rennais, sa contribution à la série du Poulpe), que j’apprécie mais sans suivre de particulièrement près la production. Alors que je n’avais rien lu de lui depuis plusieurs années, je suis récemment tombé à la bibliothèque sur L’horizon qui nous manque qui m’a particulièrement touché. Et bim, voilà que dans les semaines qui suivent, je découvre par hasard que l’auteur doit passer une semaine dans mes volcans, animant un certain nombre d’initiatives pour présenter son nouveau né, Le malheur prend son temps.

Parmi ses initiatives, l’une d’elle, sortant de l’ordinaire, a de suite attiré mon attention. Il s’agissait « d’une balade verte et vagabonde au départ de l’Ecopole Val d’Allier », arpentant des lieux qui ont nourri l’écriture du recueil (Pascal Dessaint, naturaliste et ornithologue à ses heures qui ne sont jamais perdues, a écrit une bonne part de son recueil en résidence à Cournon d’Auvergne). Une alerte au vent plus tard, la balade était annulée et remplacée par une plus classique rencontre en bibliothèque mais comme c’était prévu, je me suis quand même déplacé.

La séance se fit en très petit comité, à l’opposé de la grand-messe lyonnaise de ce weekend (je fais allusion au salon Quai du polar et ses 100.000 visiteurs dont la seule idée me terrorise, et oui, je sais, depuis que j’ai commencé à rédiger cette chronique, un autre weekend a passé). Pascal Dessaint lut quelques nouvelles, parla un peu de son écriture, de la nature, d’oiseaux… On discuta tous d’écologie, d’humains, de livres … Un moment sympathique suivi d’une séance de dédicaces à la librairie Le bateau livre, un lieu à ajouter à la liste de ceux qu’il me faudra faire beaucoup d’efforts pour fuir à tout prix. Et bien sûr je suis reparti avec un exemplaire du recueil, comme quoi ça marche, ces initiatives.

Désolé de cette digression, mais je ne voudrais pas louper une occasion de rappeler qu’il y a une culture vivante autour de la littérature noire et plein de chouettes initiatives près de chez toi.

La confusion des sentiments

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4è de couverture du recueil Le malheur prend son temps

Le jour même le recueil était lu et j’étais décidé à en faire une recension sur ce blog. Oui, mais voilà, pour en dire quoi ? Non que je n’ai rien à en dire, mais au contraire trop de choses contradictoires.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture. / Cette lecture m’a laissé sur ma faim.

J’ai trouvé que plus qu’il ne « répond à éco-anxiété » (comme indiqué en 4ème de couverture) ce recueil répand l’éco-anxiété. / J’ai trouvé que loin d’un fatalisme déprimant, ce recueil a bercé mon cœur de sa poésie et surtout d’une certaine dose d’espoir du fait que régulièrement revient l’idée que l’individu peut et doit toujours faire quelque chose et que son action peut changer le cours des choses (évidemment très présent dans le court manifeste Lettre d’un vieux naturaliste, initialement publiée dans le recueil collectif STOP, mais j’ai ressenti la même chose, bien qu’amenée moins directement, dans plusieurs nouvelles comme Une couleuvre verte et jaune ou même, et là c’est peut-être moi qui projette des choses qui ne sont pas écrites, je reviendrai sur cette notion, dans la chute de Une bonne promo et de La noix roule parfois loin de l’arbre, qui m’a un peu fait penser dans l’ambiance à La dernière étreinte, même si je suis conscient de l’immodestie de la comparaison, d’autant que c’est une des nouvelles que j’ai préféré de Le malheur prend son temps).

N’importe quoi plutôt que ne rien faire. Retroussons nos manches, maintenant et partout !

L’approche écologique de ce recueil m’a fortement agacé par une forte tendance à voir dans la destruction de l’écosystème un problème de nature humaine, presque une question morale avec trop d’hommes qui ne sont pas bons (très prégnante par exemple dans Une couleuvre verte et jaune). / L’approche écologique du recueil m’a beaucoup plu, entre autre parce qu’on n’est pas dans une logique environnementale dont l’humain est le centre mais bien dans la logique d’un ensemble écosystémique auquel l’humain participe et parce que, plus que de s’étendre sur le désastre écologique en cours, l’auteur nous transmet son amour de la nature (et quelque part, on y revient un peu après, c’est cet amour de la nature, de sa beauté, qui rend le recueil triste, plus que la destruction dont on n’est déjà conscient au quotidien).

Le style de ces très courtes nouvelles m’a séduit, me plongeant dans un spleen contemplatif pas désagréable.  / Le style de ces très courtes nouvelles m’a séduit, notamment par son humour grinçant.

Et si c’était de l’art ?

Finalement, vous voyez, j’ai décidé de tout écrire. Tout et son contraire, puisque c’est ce qui résume ce recueil, ou du moins ce qui en reste en moi après lecture. Je ressens l’ensemble, il n’y a donc pas de raison de trancher pour un sentiment officiel. Ce recueil de nouvelles provoque des émotions, n’est-ce pas là un des principaux éléments de définition de l’œuvre d’art ? Ces émotions sont parfois contradictoires, n’est-ce pas le propre des émotions les plus fortes d’être troubles et ambivalentes (comme l’écrit Pascal Dessaint « la beauté peut rendre malheureux » et « aimer les oiseaux n’est pas toujours bon pour le moral ») ? Auquel cas, on ne peut que saluer la réussite, cette lecture touche et impacte fortement émotionnellement, il y a peut-être du grand art là-dessous!

La beauté peut rendre malheureux

Ni ignorance ni cynisme

Quant au « message » que j’ai perçu comme parfois contradictoire, et parfois comme ne me convenant pas, il faut préciser deux choses. La première, c’est que comme je le dis souvent, un livre n’est pas l’œuvre d’un auteur. L’auteur fournit un matériel qui est complété, altéré, détourné par tous les maillons de la chaîne du livre. Du travail de correction au travail de promotion en passant par la mise en page, l’illustration… chaque intervenant apporte sa pierre à l’édifice final du livre. Mais les lecteurs et lectrices font partie de la chaîne du livre. En le lisant, ils le modifient à leur tour et participent à l’œuvre collective en ce sens que ce qui restera de leur lecture est aussi façonné par le lecteur, n’est pas ce qu’il y avait dans le livre avant qu’il ne l’ouvre. Les contradictions de messages sont autant celles du lecteur (moi en l’occurrence) que celles de l’auteur. Enfin, quand bien même il y aurait des contradictions dans ce que porte l’auteur, qui pourrait le lui reprocher ? Qui, face à l’écocide en cours, peut avoir un sentiment clair, objectif, stable ? Qui peut ne pas osciller dans ses ressentis et donc dans ce qu’il exprime ? Bien des gens, certes, tous les ignorants qui s’en foutent, ainsi que les cyniques qui s’en foutent tant qu’il y a du pognon à se faire. Pascal Dessaint n’est à coup sûr ni l’un ni l’autre, merci à lui, et peut-être ne le suis-je pas totalement non plus. Alors nous avons formé dans mon cerveau quelque chose de contradictoire, de parfois dérangeant, et c’est bien comme ça.

Un recueil à lire

Effet secondaire non négligeable de ce recueil, sa lecture (mais peut-être aussi les discussions lors de la lecture publique) ont modifié et accru ma perception de la nature, j’ai plus encore que d’habitude prêté attention à chaque plante, chaque insecte, oiseau… et bien-sûr chaque écureuil même si je persiste à leur trouver une certaine insolence.

Un recueil à lire pour toutes celles et tous ceux qui aiment la littérature noire, car c’en est indubitablement, mais s’intéressent aussi à la nature et apprécient de s’offrir de temps en temps une escapade hors du bitume qui constitue le décor de base classique (mais loin d’être exclusif) de la littérature noire. Un recueil à lire aussi pour tous les amateurs de nouvelles car ce n’est pas tous les jours en France qu’on découvre la sortie d’un beau recueil, écrit par un technicien talentueux ayant vraiment fait de ce genre littéraire une spécialité à part entière.

Titre: Le malheur prend son temps(e)s
Auteur: Pascal Dessaint
Éditeur: La déviation
Date de parution: 21/03/2023
ISBN: 9791096373611 

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