Au-delà des colères muettes


J’avais prévenu dans la chronique de Vive la Commune!, la collection Noires Nouvelles a « tendance à s’améliorer chaque année ». Vu que dès le premier opus chroniqué icigo, je me suis montré très enthousiaste, le suspense est faible sur ce que j’allais dire du dernier, Au-delà des colères muettes, consacré aux colonisations et surtout décolonisations et sorti en 2022 à l’occasion des 60 ans de la fin de la guerre d’Algérie et de l’indépendance du pays.

Couverture du recueil de nouvelles Au-delà des colères muettes

La formule faisant la réussite de la collection est inchangée, différents auteurs reviennent sur des événements historiques autour d’une thématique commune par le prisme de la nouvelle noire. Il y a cependant une différence avec la majorité des précédents recueils de la collection: le thème ne porte pas cette fois sur des événements restreints à une période précise et plus ou moins à une zone géographique contrainte comme c’était le cas avec Mai 68, la guerre d’Espagne ou la Commune de Paris. La colonisation et les mouvements de décolonisation concernent en effet l’ensemble des continents et s’étalent sur un temps relativement long, se rapprochant plus en ce sens de Vive l’anarchie! mais je trouve que la variété du thème est mieux exploitée cette fois-ci.

Pour les atouts majeurs de ce recueil, j’ai peur de me répéter avec les précédentes chroniques donc je me contenterai de dire que j’apprécie toujours autant la variété des auteurs et autrices (variété tant dans les disciplines dont ils et elles sont issus que des styles littéraires, générations, origines, puisqu’un certain nombre vivent ou ont vécu dans des colonies ou anciennes colonies), celle de la forme prise par leurs textes (je ne vais pas cette fois toutes les détailler mais on retrouve des nouvelles, des poèmes, mini romans-photos…) et de l’iconographie.

Ce recueil démontre encore une fois l’efficacité de la littérature noire quand il s’agit de traiter de sujets graves sans les précautions empruntées qu’ont souvent les non-fictions qui sur un tel sujet auront tendance à tellement s’introduire (quant au terrain glissant abordé, à son étendue, les risques de ceci ou cela) qu’à la fin l’introduction ne s’introduit plus qu’elle-même. Ce n’est clairement pas le livre feel-good qui vous fera oublier l’actualité, mais c’est vraiment un super bouquin, très complet et malgré tout, d’une certaine manière, ludique à lire (par exemple, La fête du commandant d’Anouk Langaney ou Jojo prisonnier des paras de Serge Utgé-Royo ont réussi à me faire rire malgré le thème).

L’air de rien, la variété des facettes du thème colonialisme/décolonisation abordées dans le bouquin est impressionnante. Il y est question du colonialisme, des différentes formes de résistance au colonialisme, des luttes de libération nationale réussies, de celles qui ont échoué à ce jour (Thomas Cantaloube titre explicitement sa nouvelle sur la Guadeloupe Une indépendance qui n’a pas eu lieu, d’autres évoquent la Martinique ou encore la Kanaky), des résistances à la décolonisation (comme François Muratret et son OAS contre DS), des rapports entre lutte anticoloniale et mouvements révolutionnaires (je pense notamment à Les trois D de Michaël Dias qui revient sur la trop souvent oubliée dimension anticoloniale de la révolution des œillets ou à « S’égratiner mais vaincre » Maya Malamant, communiste en Algérie d’Eloise Dreure, mais il y en a d’autres) des situations post-coloniales (comme dans Recyclage gabonais de Jean-Louis Nogaro)…

Bouquin intéressant et riche en émotions qui aborde autant les espoirs ou la solidarité que l’horreur (l’horreur à laquelle est parfois amenée la résistance au colonialisme n’étant pas la moindre des horreurs coloniales), les succès, les faux succès et les échecs. Une mention particulière pour De l’île des Pins à Alger la blanche d’Alexandra Schwartzbrod qui évoque le cas aussi complexe que méconnu de Kabyles condamnés au bagne  fin 19è pour insurrection qui se verront proposer d’aider les colons français à mater la révolte kanak en échange de leur libération.

Je vais tâcher pour une fois de me contraindre à une chronique assez courte pour vous laisser le temps de rapidement lire les 400 pages de ce recueil qui défilent cependant très vite. J’en termine cependant sur une petite note d’autosatisfaction puisque malgré mon absence la plus totale de rigueur et les deux ans de délai moyen pour les chroniquer, j’ai enfin terminé la série de chronique des recueils de la collection Noires Nouvelles… jusqu’au prochain (je ne pousserai pas jusqu’à remercier l’éditeur de ne pas en avoir sorti en 2023).

Evidemment, publier cette chronique maintenant entre doublement en écho avec l’actualité, d’une part au vu de la date anniversaire du massacre du 17 octobre 1961 et d’autre part du massacre en cours à Gaza et je comprends que pour certains ce serait trop lourd de se plonger dans ce recueil maintenant. Ça peut évidemment attendre, même si je crains qu’on ne soit pas près de connaitre une période où la question coloniale ne sera pas du tout d’actualité.

Addendum: J’avais oublié de vous mettre le lien vers la présentation éditeur, complète et complémentaire de ma chronique et en marge de laquelle on trouve un lien que je voulais à tout prix partager avec vous: celui vers la chaîne Youtube Sab en Live et ses lectures de plein de textes dont pas mal de nouvelles noires ou extraits de polars (de « mises en bouche ») avec en particulier une playlist De l’Histoire au Polar sur laquelle on trouve notamment une lecture de Sans valise ni cercueil de Marion Chemin, nouvelle issue du présent recueil (mais aussi des textes issus de Vive La Commune! et bien d’autres).

Titre: Au-delà des colères muettes
Auteur: Collectif (direction Patrick Amand, préface de Raphaëlle Branche)
Éditeur: Éditions du Caïman (collection Noires Nouvelles)
Date de parution: mars 2022
ISBN: 9782919066964

Dans la même collection sur ce blog: Des nouvelles de Mai 68, C'est l'anarchie!, Brigadistes!, Vive la commune!

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