Bandits & brigands


Hop hop hop. On essaye de retrouver un rythme. Parce que ce n’est pas avec deux chroniques par an que j’ai une chance de présenter le dixième des pépites de la littérature noire, et notamment des nouvelles noires, que j’ai à cœur de faire découvrir. Cette fois on va dire deux mots de Bandits & Brigands, recueil de nouvelles sorti aux éditions L’échappée il y a quasiment trois ans.

Couverture du recueil de nouvelles Bandits & Brigands, aux éditions L'échappée.

Déjà, il y a une esperluette dans le titre. Je sais, pour beaucoup, c’est le « E commercial », symbole des noms de cabinets d’avocats ou autres « & associés ». Pour moi, c’est un des plus beaux signes typographiques dont l’esthétique de la graphie et du nom s’accordent parfaitement. Bon j’ai quand même d’autres bonnes raisons de vouloir chroniquer ce livre qui avait plutôt fait pas mal causer à sa sortie pour un recueil de nouvelles (genre peu mis en lumière en France) d’une petite maison d’édition anarchiste (liée à la librairie Quilombo, sise dans le 11è, à Paname) et ce serait dommage qu’il tombe petit à petit dans l’oubli.

Huit auteurs et autrices. Huit nouvelles. Chacune sur un « bandit social ». Qu’est-ce que c’est qu’un bandit social? Les coordonnateurs de l’ouvrage renvoient logiquement à l’ouvrage de référence, Les bandits du grand historien Eric Hobsbawm. En gros, les bandits sociaux sont ces hommes et femmes issus de la petite paysannerie qui occupent la zone grise entre criminalité et révolte sociale. Clairement bandits par leurs modes d’action, mais en réaction toujours à l’injustice sociale, avec une part de redistribution des richesses et de défi des puissants entraînant une popularité certaine dans les couches populaires.

Le thème touche à la quintessence de la littérature noire. Littérature noire que Jean-François Vilar a su démarquer de la littérature policière d’une phrase limpide « Je n’ai jamais aimé la littérature policière ; ce qui m’intéresse c’est la littérature délinquante ». Mais également une littérature que plusieurs (notamment JB Pouy, en particulier dans sa Brève histoire du roman noir) ont placé en droite descendance de la littérature réaliste. Or il est intéressant de noter que l’histoire des bandits sociaux est faite, autant que de faits avérés, de leur légende. Légende au sens du récit post-mortem, principalement créé et colporté dans les couches populaires, qui, s’il peut s’affranchir parfois des événements factuels, n’en est pas moins un récit proche du réalisme littéraire, un récit qui s’appuie sur un personnage et ses aventures pour décrire des réalités sociales. Raconter ces bandits sociaux sous forme de fictions réalistes n’est que perpétuer leur histoire telle qu’elle s’est construite, mais en assumant comme telle la part de caractère fictif. Enfin, un recueil de nouvelles sur les bandits sociaux a forcément un accent de littérature d’aventure ce qui le rapproche des sources du roman policier dont est elle-même issue la littérature noire (le roman policier français doit en effet beaucoup aux récits d’aventure de Féval, Leroux, Ponson du Terrail…).

Penchons nous désormais d’un peu plus près sur le recueil Bandits & Brigands. Un bel objet déjà, avec une belle qualité de papier, ses pages aux tranches colorées, le visuel de la couverture repris pour séparer les paragraphes… Des noms d’auteurs dont certains ne manqueront pas d’attirer les passionnés de littérature noire, ensuite. Comme ils ne sont que huit on peut se permettre de toutes et tous les citer: Émilien Bernard, Thomas Giraud, Sarah Haidar, Linda Lê, Patrick Pécherot, Serge Quadruppani, Sébastien Rutés, Jean-Luc Sahagian.

Comme il se doit (éditions libertaires mais conformistes), l’ouvrage s’ouvre sur une préface, rédigée par Jacques Baujard et Cédric Biagini, les éditeurs. On y trouve notamment un avertissement contre la tendance, dans certains milieux se voulant politiquement radicaux, à une fascination pour la violence et une admiration sans discernement pour la criminalité.

L’avertissement est d’autant plus pertinent1 qu’il est vite oublié quand on plonge dans la lecture des nouvelles, car on abandonne aussitôt les froides analyses pour se laisser griser par le récit, servi par des écritures affûtées. Rapidement, on s’insurge avec nos brigands contre les injustices décrites, on jouit de la résistance offerte à l’oppression et des sales tours joués au système, on s’émeut des solidarités et nos poings et cœurs se serrent face à l’implacable machine répressive.

La sélection des bandits choisis est riche. On voyage à travers les siècles (du 17è à la toute fin du 20è siècle, Phoolan Devi a vécu jusqu’au tout début du 21è siècle et Sante Notarnicola était même encore vivant au moment de la parution du recueil, mais tous deux avaient alors terminé leurs carrières de brigands), à travers les continents (de la France à l’Australie, du Brésil à l’Inde, en passant par la Kabylie, la Californie, l’Écosse et l’Italie). Des récits différents dans des contextes bien différents, mais, même si aucune nouvelle ne se veut une étude scientifique, sociologique ou historique, on est rapidement marqué par les points communs entre les huit situations narrées. Des conditions sociales similaires, des injustices vécues très semblables et un choix de l’illégalité qui appartient rarement au futur bandit qui y est jeté par les autres. Les flics et la justice qui condamnent injustement – une fois considéré comme criminel, il existe bien moins de raison de ne pas le devenir – la misère et la faim qui laissent peu de choix pour survivre, l’accès dénié aux modes légaux de contestation des injustices… Mais aussi, souvent, la trahison de ceux avec qui on devrait pouvoir combattre ces injustices, que ce soit les individus partageant la condition sociale des bandits (particulièrement sensible dans Grandeur et chute des « chevaliers » du bush d’Émilien Bernard où Ned Kelly est touchant de naïveté) ou les organisations militantes (voir en particulier Sante Notarnicola et le PCI, raconté – qui d’autre aurait-on pu y voir – par Serge Quadruppani dans L’enfant de l’atelier) qui pousse à trouver une réelle solidarité en marge de la société avec les compagnons de brigandages (milieu qui n’est évidemment pas immunisé contre les trahisons comme vous le verrez dans plusieurs nouvelles).

Évidemment, les histoires finissent mal. Si tous les personnages ont pu un temps faire belle figure, la réplique de la société sera implacable, ceux qui ne seront pas abattus directement seront condamnés à mort ou à des décennies de prison, mais le pire destin reste celui de Phoolan Devi finissant députée, même si un assassin mettra fin à coups de revolver à ce calvaire.2

Ce qui est intéressant derrière cette évidence, c’est de constater que l’acharnement mis à éliminer ces bandits n’est ni lié à leur pouvoir direct (très fluctuant entre le « gang Kelly » qui n’était constitué, outre lui-même, que de son frère et deux amis, et Cartouche qui, à son apogée, dirigeait une véritable armée de 2000 malandrins) ni au préjudice matériel causé par leurs rapines et redistributions (dans tous les cas assez dérisoires par rapport aux profits globaux issus de l’exploitation), mais au symbole qu’ils incarnaient d’une possibilité de s’opposer à la marche du monde et au risque de tâche d’huile représenté par une telle démonstration, risque illustré par une popularité croissante souvent matérialisée par une solidarité concrète d’une portion de la population (particulièrement marquée par exemple pour les cangaceiros). Sur ce point au moins, le système a échoué puisque le symbole s’est perpétué et développé après la mort des bandits. Ces hommes et femmes sont devenus des personnages, leur vie et leur œuvre des mythes, des légendes. En cela, ce recueil et son succès sont un petit coup de pied de plus dans les tibias de la société. L’acheter, le lire et le faire connaître sont une opportunité d’y aller de son propre coup de tatane, ce serait bête de s’en priver.

Sur la forme littéraire, l’ensemble est très plaisant. Les styles d’écriture sont hétérogènes (comme le chante Sttellla « il avait été indien, elle avait été rogène », désolé pour la digression gratuite) mais leur niveau homogène. Mon petit coup de cœur personnel va à Cangaceiros: Fragments d’une légende de Jean-Luc Sahagian sur Maria Bonita et les siens, dont la narration originale aurait toute sa place à être citée dans Qu’est-ce qu’on se narre! et pour Vie et mort (mort et vie) d’un bandit mexicain de Sébastien Rutès sur Joaquín Murietta (le seul des bandits traités dans le recueil dont l’existence même porte à débat, ce qui donne d’autant plus d’intérêt à la structure très particulière de la nouvelle). J’ai également apprécié que Sarah Haidar me fasse découvrir Hend U Merri via L’insoumis kabyle, le seul des huit brigands dont je n’avais jamais ne serait-ce qu’entendu parler et pas le moins intéressant.

Maria Bonita au milieu de sa bande de cangaçeiros (dont son compagnon Lampião) les bandits au flow incomparable.
Maria Bonita au milieu de sa bande de cangaçeiros (dont son compagnon Lampião), les bandits au flow incomparable.

1Même si j’ai trouvé l’argumentaire, il est vrai rapide, un peu faiblard tant il est facile d’opposer les bandits sociaux à la mafia, quintessence du versant officiellement criminel du pire de nos sociétés capitalistes, faisant l’impasse sur toutes les nuances de délinquants et criminels qui existent entre les deux et rendent bien impossible de tracer une frontière entre droits communs basiques et les fameux bandits sociaux.

2Derrière une touche d’humour se cache bien de l’amertume, surtout quand on sait que celle qui a subi le viol comme moyen de coercition tout au long de sa vie finit députée du Samajwadi Party, qui s’est notamment fait connaître par ses positions pour la suppression de la peine de mort pour les violeurs (parce que « les garçons font des bêtises ») mais en faveur de son instauration pour les femmes adultères!

 

Titre: Bandits & Brigands
Auteur: Collectif 
Éditeur: L'échappée
Date de parution: 20/11/2020
ISBN: 9782373090796 

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