Mai 68 : Des nouvelles et quelques romans noirs


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13 mai 1968 :  une marée humaine d’un demi-million de personnes déferle sur Paris. Surtout, c’est le premier jour de la grève générale. Celle-ci, appelée par les organisations syndicales sous pression de la base et pour 24h seulement allait s’étendre et s’installer dans la durée pour culminer au 22 mai avec neuf millions de grévistes !

50 ans plus tard jour pour jour, rien de semblable à l’horizon, quoique sait-on jamais … Pourtant, on ne peut pas dire que tout ait radicalement changé. La colère gronde chez les travailleurs et travailleuses mais dans un relatif silence, les étudiant·e·s tentent de s’auto-organiser sur les campus pour mener la lutte et politiser leurs inquiétudes, le gouvernement méprise tout ce petit monde, les syndicats renâclent à généraliser la mobilisation, les organisations politiques réformistes espèrent capitaliser les colères les yeux rivés sur les prochaines élections, les flics matraquent, gazent et estropient… et les auteurs écrivent !

Les nouvelles noires du cinquantenaire

Il est possible que d’autres initiatives aient échappé à ma vigilance, mais j’ai noté quatre publications de nouvelles noires pour le cinquantenaire de mai 68.

Des nouvelles de mai 68

Pour qui s’intéresse à la nouvelle noire, domaine qui n’a pas toujours les faveurs des éditeurs, les éditions du caïman sont à connaître puisqu’elles font parties des rares maisons à y consacrer une collection entière, Noires Nouvelles. Après les 70 ans du débarquement de Normandie et les 80 ans des brigades internationales, cette collection spécialisée dans le lien entre événement historique et nouvelles noires s’attaque aux 50 ans de mai 68. Outre 23 nouvelles Des nouvelles de Mai 68 contient une cinquantaine de dessins satiriques présentés comme l’œuvre de « 28 dessinateurs impertinents ». Pour être honnête, je suis loin de trouver tous ces dessins particulièrement impertinents, ni particulièrement pertinents (je ne vois par exemple pas quelle est l’impertinence de tous ceux qui rabâchent le poncif habituel sur les anciens soixante-huitards ayant retourné leur veste et fait leur trou dans la bourgeoisie. Il me semblerait plus pertinent d’avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui depuis cinquante ans continuent à lutter envers et contre tout, comme par exemple ceux là).

Des nouvelles de Mai 68, recueil de nouvelles noires
Des nouvelles de Mai 68, recueil de nouvelles noires

Cependant, je ne crache pas dans la soupe et salue l’idée, originale et particulièrement adaptée à la thématique. Parmi les nouvelles on trouve de véritables nouvelles policières comme des souvenirs plus ou moins romancés (ou plus exactement plus ou moins consciemment romancés car un souvenir est forcément une version romancée des faits). Ces nombreuses non-fictions auxquelles je ne m’attendais pas vraiment n’ont rien de décevantes, certaines sont de véritables documents historiques (les détails donnés par Claude Mesplède sur l’organisation de la grève à Orly sont par exemple passionnants), d’autres « simplement » très agréables à lire. A noter que deux nouvelles, celles de Laurence Biberfeld et de Fabien Lacaf sont sous forme de BD, ce qui  là encore est une originalité bienvenue. Pas mal de nouvelles entrent évidemment en résonance avec l’actualité que ce soit sur le mouvement étudiant en cours, la grève générale qu’on appelle de nos vœux ou encore l’extrême-droite qu’on voit aujourd’hui comme à l’époque jouer les supplétifs du pouvoir en attaquant les mouvements sociaux. Ainsi la nouvelle de Jean-Noël Levasseur qui relate (sans le nommer) les activités de barbouzes violemment briseur de grève de Fernand Loustau dont le fils, Axel Loustau, responsable et élu FN, aime toujours à jouer le coup de poing au côté des franges les plus violentes de l’extrême-droite.

Sous les pavés, la rage

Arcane 17, toujours dans les bons coups, y va aussi de son recueil de trente nouvelles noires. Je ne vais pas en dire grand chose car je ne l’ai pas encore lu, j’attends la prochaine paye pour le commander. Mais je n’ai pas vraiment de crainte sur le plaisir qui en découlera. On retrouve quelques auteurs présents dans le précédent ouvrage cité (Laurence Biberfeld, Roger Martin, Gilles Del Pappas, Didier Daeninckx, Jeanne Desaubry, Maurice Gouiran auteur en 2008 du roman dont le titre est repris pour ce recueil), quelques autres auteurs de romans noirs que j’apprécie particulièrement (Max Obione, Jean-Hugues Oppel, Cloé Mehdi…) et des surprises extérieures au milieu littéraire comme Alain Krivine, celui qui écrivait il y a quelques temps avec ironie un livre intitulé ça te passera avec l’âge, pied de nez autobiographique à tous ceux qui lui prédisaient une rentrée rapide dans le rang, celui qui lutte encore au quotidien. Bref, je chroniquerais peut-être Sous les pavés, la rage quand je l’aurais lu, mais déjà je me risque à vous le conseiller. A noter, comme vanté dans la vidéo ci-dessous, un effort appréciable fait sur la parité.

Mai 68 raconté par des écrivains – Libération

Méprisé par les grandes maisons d’édition, le format court peut parfois compter sur la presse quotidienne pour le diffuser, que ce soit sous forme de suppléments comme Les petits polars du Monde tous les étés, ou inclus quotidiennement dans les pages du journal. C’est cette dernière forme qu’a choisi libération cette année avec son dossier Mai 68 raconté par des écrivains qui donne chaque jour du mois de mai la parole à un auteur. Ce dossier n’est pas particulièrement dédié au polar mais on y trouve un certain nombre d’écrivains marquants du genre comme Marc Villard, DOA ou JB Pouy.

Jibé récidive

Pour les 40 ans de mai 68, Jean-Bernard Pouy avait publié Mes soixante huitres qu’il avait fêté en avalant ses cinq douzaines d’Ostreidae. Pour le cinquantième anniversaire « des événements » il vient de sortir Mes soirs sans tweet, peu de chance cependant qu’on le retrouve sur le réseau social en 280 caractères. Pas encore lu non plus ce court opuscule de 32 pages édité par Folies d’encre, un de plus sur la pile.

Mes soirs sans tweet, de Jean-Bernard Pouy
Un deuxième Pouy en quelques mois, nous sommes gâtés en ce début 2018

Déjà avant le cinquantenaire

Il n’a évidemment pas fallu attendre cinquante ans pour que mai 68 inspire des recueils de nouvelles noires. En 2007, l’association Noires de Pau anticipait de six mois le quarantième anniversaire « des événements » en publiant Noires de mai et ses huit nouvelles en association avec l’Atelier In8.

Mais la référence dans le domaine jusqu’ici datait du trentième anniversaire de mai 68, avec Black Exit to 68 paru aux éditions La Breche-Pec. Parmi les auteurs à l’œuvre il y a vingt ans, on retrouve déjà quelques uns qui récidivent cette année (Roger Martin, Didier Daeninckx, ou Jean-Bernard Pouy) mais aussi des figures majeures du néo-polar français malheureusement décédées depuis : Jean-François Vilar, Thierry Jonquet et Frédéric H Fajardie. Un livre qu’on trouve assez facilement d’occasion, à acheter sur le champs.

Quelques romans noirs pour faire l’appoint

Je n’ai absolument pas cherché (la liste des parutions à me faire baver dépasse déjà allègrement mon budget), mais je n’ai pas vu passer de roman noir ou polar directement en lien avec le cinquantenaire dans les sorties de cette année. Cependant il y a largement de quoi faire avec tous ceux qui sont déjà parus. Ils sont d’ailleurs tellement nombreux qu’il n’est pas question de vous en faire une liste exhaustive, je vais me contenter d’en citer quelques uns, ceux que j’ai lu et qui m’ont plu et ou mai 68 occupe une place centrale.

Affiche de Mai 68
Affiche de Mai 68

Déjà cité, Mes soixante huîtres de Jean-Bernard Pouy, du même à ne louper sous aucun prétexte Spinoza encule Hegel, un mythe absolu (qui a connu deux suites).

Déjà mentionné aussi, Sous les pavés, la rage de Maurice Gouiran, un auteur pas encore suffisamment reconnu à sa juste valeur.

J’ai parlé des monuments du néo-polar hélas décédés. Deux d’entre eux ont commis parmi leurs meilleurs ouvrages des romans noirs ayant mai 68 en trame de fond. Il s’agit de Thierry Jonquet et son Rouge c’est la vie ainsi que de Fajardie avec Jeunes femmes rouges toujours plus belles.

J’ajouterais pour faire bonne mesure (c’est à dire 13 à la 12ne ) Camarades de Classe de Didier Daeninckx et Une ville en mai de Patrick Raynal ainsi que Pointe rouge de Maurice Attia. Je prends le risque de terminer avec Disparu en mai 1968 de Noël Simsolo que je n’ai pourtant pas lu mais que l’on m’a chaudement recommandé.

L’essai…

Si vous cherchez quelque chose de plus théorique sur la thématique, il y a un essai allemand qu’il faut lire. Il s’agit de Le polar français. Alexander Ruoff et Elfriede Müller y poursuivent « les traces des combats perdus et des occasions révolutionnaires manquées du XXe siècle dans le roman noir français et dans la philosophie de l’École de Francfort ». Au même titre que la guerre d’Espagne ou celle d’Algérie, Mai 68 y occupe donc une place importante. Les éditions La fabrique l’ont publié en français, traduit par Jean-François Poirier et préfacé par Frédéric H Fajardie, pour moins de dix euros.

Le polar français, essai de Alexander Ruoff et Elfriede Müller
Le polar français, essai de Alexander Ruoff et Elfriede Müller

… à transformer

Voilà, je vous souhaite de bonnes lectures. Il en manque forcément, mais il y a déjà de quoi faire et surtout, n’oubliez pas, l’histoire c’est bien de l’écrire ou de la lire, mais c’est encore mieux de la faire. Alors au boulot pour que dans cinquante ans je puisse chroniquer les recueils anniversaires de mai 2018 et non du centenaire de 68.